Déclaration conjointe sur la publication du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe
11/28/2022En tant que militantes ayant élaboré une Feuille de route pour le Plan d’action national sur la violence fondée sur le genre,Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, qui survient près de deux ans après la publication, en 2021 de la Déclaration conjointe pour un Canada sans violence liée au sexe. Nous constatons avec plaisir que toutes les provinces nous attendions avec impatience la publication de ce plan décennal. La présente déclaration est notre réaction commune à la publication par le gouvernement fédéral, le 9 novembre 2022, de son très attendu et tous les territoires s’engagent à concrétiser la vision du Plan d’action national (PAN).
Nous apprécions l’approche intersectionnelle du document et la mise en évidence de certaines recommandations clés qui correspondent aux nôtres. Notamment, la nécessité d’un engagement continu avec le secteur; la recherche et les données nationales; le financement des services de base; la lutte contre la pauvreté, l’itinérance et le manque de logements; l’accès aux technologies de communication et aux transports, en particulier dans les régions rurales, éloignées et nordiques; ainsi que les soutiens au revenu et l’infrastructure des besoins fondamentaux. En outre, le document reconnaît la nécessité d’un soutien en matière de santé mentale et de toxicomanie, de services pour les enfants et les agresseurs, et du développement d’alternatives au système de justice pénale.
Toutefois, ce document ne constitue pas en soi un Plan d’action national.
Il s’agit plutôt d’un cadre qui guidera les négociations ultérieures et les accords bilatéraux avec chaque province et territoire. Plus précisément, ce cadre propose des suggestions générales d’actions qui permettront aux provinces et territoires de choisir et façonner leurs engagements en fonction de leurs propres priorités. Tel qu’indiqué dans notre Feuille de route, un PAN, doit comprendre des actions concrètes auxquelles s’engage chaque province et territoire, plutôt qu’un menu de possibilités d’actions. Après deux ans d’attente, le PAN est encore loin de sa phase de mise en oeuvre.
En reconnaissant et en cherchant à traiter un grand nombre des causes profondes de la VFS/VFG, ce cadre est un pas dans la bonne direction. Nous sommes toutefois préoccupées par le fait que le plan est de trop haut niveau, que sa portée n’est pas assez large et qu’il est donc pour atteindre les objectifs fixés et s’attaquer efficacement à la nature systémique de la VFS/VFG.
Des questions subsistent quant à la façon dont le gouvernement fédéral entend piloter ce processus de manière transparente, en assurant la continuité entre les provinces et les territoires, en s’attaquant aux obstacles systémiques et aux causes profondes, en adoptant une approche mesurable et responsable, et en évitant de créer des écarts importants en fonction des priorités politiques d’une juridiction. On ne sait pas non plus comment le secteur de la lutte contre la VFS/VFG sera impliqué dans la supervision du PAN, afin de s’assurer que l’accès d’une personne aux services ne dépende pas de son code postal.
Plus précisément, voici les points sur lesquels nous avons des questions et des réserves:
1. Actions limitées au palier national
2. Les actions sont suggérées et non obligatoires
3. Absence de certaines recommandations clés
4. Pas assez d’attention accordée au changement systémique
5. Aucune mention d’une redevabilité et d’une surveillance indépendante
6. Manque d’engagement en faveur d’investissements soutenus et croissants
Actions au palier national
En déléguant les actions uniquement aux gouvernements provinciaux et territoriaux, le cadre n’aborde pas les réponses à la VFS/VFG au palier national. Par conséquent, les organisations qui assurent la coordination, fournissent des recherches et une expertise précieuses, et plaident en faveur du secteur et des personnes survivantes au palier national, ne sont ni incluses ni prévues dans ce plan. Bien que le PAN mette l’accent sur un engagement continu avec le secteur, aucune précision ne décrit la manière dont les organisations nationales seront impliquées.
Les institutions de compétence fédérale ne sont pas non plus incluses dans le cadre, à savoir le système d’immigration, l’Agence des services frontaliers du Canada, les établissements correctionnels, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), l’Agence du revenu du Canada, Service Canada, le ministère de la Justice, Patrimoine canadien et les Forces armées canadiennes. Alors que la stratégie fédérale – Il est temps: Stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe – comprend des actions pour les institutions de compétence fédérale, nous ne savons pas encore comment ces efforts seront harmonisés avec le PAN et les accords bilatéraux provinciaux/territoriaux. Bien que les récentes révisions de la Loi sur le divorce et certaines lois provinciales/territoriales sur la famille reconnaissent les réalités des nuances culturelles, le PAN n’en fait pas mention dans le contexte du droit de la famille. Le document n’aborde pas l’harmonisation du droit de la famille entre juridictions, la révision de l’inculpation obligatoire, l’amélioration du droit de l’immigration pour soutenir les personnes confrontées à la VFS/VFG, la modification de la législation qui limite l’accès aux aides au revenu, ou la question de savoir si le Canada devrait envisager de criminaliser le contrôle coercitif. Le cadre ne prévoit pas non plus responsabiliser les institutions publiques en ce qui concerne le
changement de culture, la refonte des systèmes ou la mise en place de mécanismes de surveillance et de redevabilité.
Certains domaines pourraient particulièrement bénéficier d’un leadership fédéral afin d’assurer l’équité entre les Canadiennes et les Canadiens, comme l’établissement de normes et de protections minimales en matière de sécurité en ligne, de programmes d’éducation sexuelle, de campagnes d’éducation publique, d’un revenu viable universel et de la régularisation des personnes ayant un statut d’immigration précaire. Le cadre reconnait la VFS/VFG comme une violation des droits de la personne, mais il n’aborde pas l’intégration des instruments législatifs internationaux à tous les paliers de gouvernement et ne contient pas de recommandations relatives à la réforme des droits de la personne.
Actions facultatives pour garantir l’accès des personnes survivantes aux services
Bien qu’il soit encourageant de voir le cadre affirmer à plusieurs reprises que les personnes survivantes doivent avoir accès aux services, quel que soit leur lieu de résidence, nous craignons qu’il n’atteigne pas cet objectif. Le fait de suggérer une série d’actions et de demander aux provinces et aux territoires de choisir leurs propres priorités accentuera probablement les lacunes et les incohérences déjà présentes dans la mosaïque de services et de programmes à travers le pays.
Des écarts importants existent entre les régions en matière de fourniture de services. Dans certaines régions, et notamment dans les zones rurales, éloignées et nordiques, les services pour les personnes survivantes sont rares. Comment le gouvernement fédéral peut-il garantir que leur accès à des services de qualité ne dépendra pas de leur code postal si l’établissement des priorités est laissé à la discrétion de chaque province ou territoire? Les fonds seront-ils distribués en fonction des besoins, ou par personne? Qui sera chargé de construire des services à partir de zéro dans des endroits où il n’y en a pas?
Les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle, les maisons d’hébergement, ainsi que d’autres services communautaires, demandent depuis des décennies un financement de base stable et durable. Ces organisations sont confrontées à une demande croissante de services, de longs délais d’attente, des besoins complexes et des problèmes de rétention du personnel, alors qu’elles continuent à fonctionner avec un financement limité, instable et souvent basé sur des projets. Les actions du PAN étant présentées comme facultatives, il existe un risque que les besoins en matière de services ne soient pas entièrement satisfaits.
Principales recommandations manquantes
Violence à caractère sexuel
Bien que le cadre reconnaisse la violence à caractère sexuel comme une forme distincte de violence, certaines recommandations clés, comme celles du rapport d’engagement communautaire d’EVA Canada, ont été laissées de côté. Il s’agit notamment de la nécessité
d’une analyse intersectionnelle complète du système de protection de l’enfance, ainsi que de la lutte contre les interventions policières et la criminalisation excessives des groupes racisés, y compris dans le domaine du travail du sexe. Malgré la mention d’alternatives à la justice, la justice transformatrice n’est pas sur la table, pas plus que le financement des personnes qui aident les survivantes à s’orienter dans les systèmes, ou les programmes pour les survivants masculins. Il est nécessaire de faciliter et d’égaliser l’accès aux programmes d’infirmières examinatrices en cas d’agression sexuelle (SANE) dans tout le pays, ainsi que d’offrir des options de signalement par des tiers pour les survivantes qui souhaitent signaler les violences sexuelles en toute sécurité et de manière anonyme. Il est également nécessaire d’indemniser et de soutenir financièrement les personnes survivantes. Le cadre n’aborde ni la violence de l’État ni la responsabilité institutionnelle, par exemple veiller à ce que les services de police et la GRC collaborent avec les organisations qui défendent les droits et mettent en oeuvre les Violence Against Women’s Advocate Case Reviews (VACR), qui assurent de manière cruciale une surveillance civile et réduisent le nombre de cas d’agressions sexuelles jugés «non fondés». Enfin, rien n’est prévu pour lutter contre les cultures de travail dominées par les hommes, ni pour atténuer l’impact de l’industrie extractive sur les femmes, la terre et les communautés environnantes.
Logement, aides au revenu et privatisation
Il est fondamental que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux modifient les lois et les politiques qui continuent à créer des obstacles à l’accès aux aides au revenu, ainsi qu’à l’avancement et aux recours en matière d’emploi et de marché du travail (justice économique), et qui favorisent la précarité de l’immigration. De plus, le logement abordable reste une lacune importante pour les personnes confrontées à la violence et le cadre actuel ne fournit pas de plan concret et cohérent pour aller de l’avant en la matière au Canada. Nous constatons également des lacunes importantes en termes de réformes nécessaires du droit du travail pour mieux soutenir les victimes de VFS/VFG, y inclus la mise en oeuvre de la convention 190 de l’OIT. Enfin, nous notons que le cadre ne fournit aucune orientation sur la privatisation des programmes d’infrastructure sociale. La privatisation entraîne une augmentation des frais d’utilisation et confie le contrôle des installations publiques à des sociétés privées à but lucratif qui n’ont aucun compte à rendre. Elle détourne également les fonds publics des services essentiels, dont les gens ont besoin, au profit des bénéfices des entreprises. Le maintien du caractère public des infrastructures et des services constitue un investissement judicieux des fonds publics et permet d’améliorer le contrôle local, la souplesse et l’efficacité des opérations, de réduire les coûts, de bonifier l’accessibilité et d’offrir des services de qualité.
L’intersectionalité
L’intersectionnalité n’est pas intégré dans de nombreuses sections. Par exemple, le cadre ne tient pas compte des réalités spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap. Il n’y a aucune référence aux services en français et les réalités des minorités linguistiques. Si le document actuel mentionne certains aspects de l’infrastructure sociale, d’importantes lacunes n’ont pas été abordées. Il importe de noter que les communautés à faible revenu, racisées, noires et autochtones sont déjà touchées de manière disproportionnée
par les inégalités structurelles de nos programmes d’infrastructure sociale, ce qui les expose à un risque et à un désavantage accrus lorsqu’elles sont confrontées à la VFS/VFG. Le cadre ignore les répercussions particulières de la condamnation et de l’incarcération sur les femmes issues de communautés spécifiques, comme les communautés autochtones et noires, qui sont profondément liées à la VFS/VFG. Aucune mention n’est faite de cette réalité, ni de l’impact global du système correctionnel canadien sur l’expérience des communautés racisées et sans statut. Enfin, il est crucial d’inclure dans le plan d’action des propositions de réforme des lois et des politiques relatives à l’immigration et aux réfugiés.
Se concentrer sur le changement systémique
Bien que le cadre reconnaisse de manière encourageante la nature intersectionnelle de la VFS/VFG – le fait que certains groupes sont plus exposés parce qu’ils subissent des strates d’oppression qui se chevauchent – les actions suggérées ne vont pas assez loin lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes systémiques bien ancrés.
Par exemple, les actions suggérées mettent l’accent sur l’éducation et la formation au lieu de s’attaquer au changement systémique en repensant les structures, en décolonisant et en développant des alternatives. Même si le cadre identifie comme un problème la surreprésentation des enfants noirs, autochtones et racisés dans le système de protection de l’enfance, l’action recommandée consiste à fournir une formation au personnel au lieu de repenser le système problématique. De même, les questions relatives au système de justice pénale sont abordées presque exclusivement par le biais de recommandations de formation. L’engagement en faveur de l’élargissement de l’accès à des conseils et services juridiques gratuits n’est pas à la hauteur de ce qui est réellement nécessaire: l’accès à une représentation juridique complète pour les survivantes de VFS/VFG. Bien qu’une formation continue soit nécessaire, la formation seule est loin d’être suffisante pour favoriser un changement culturel et systémique. De plus, au lieu de s’attaquer aux faibles taux de condamnation en matière de violence à caractère sexuel, l’action suggérée consiste à accroître l’éducation juridique du public sur les lois relatives aux agressions sexuelles. Malgré la reconnaissance du besoin d’alternatives au système de justice pénale, dans la réalité, les financements liés à la VFS/VFG ont traditionnellement été canalisés vers des réponses basées sur ce type de justice, même si seulement 5% des personnes survivantes d’agressions sexuelles ont affaire au système de justice pénale. Rien ne garantit que les provinces et les territoires ne continueront pas à orienter ce nouveau financement vers des réponses fondées sur la justice plutôt que vers des réponses alternatives ou la prévention. Finalement, il est impératif que les lois et changements législatifs en relation à l’immigration et les réfugiés soit reflétés dans le plan.
Une véritable redevabilité et une surveillance indépendante
En tant qu’organisations profondément investies dans la mise en place des changements systémiques nécessaires pour remédier aux causes profondes de la VFS/VFG, il est impératif de rendre des comptes. Comme indiqué dans notre Feuille de route, un cadre solide de suivi, évaluation, redevabilité et apprentissage (MEAL) doit être mis en place dès le début afin de garantir que les données probantes sont correctement générées pour soutenir la réussite continue du PAN. Nous devons nous assurer que les résultats escomptés sont mesurés de manière efficace et que, en tant que société civile, nous sommes en mesure d’accéder facilement à ces informations, y compris la manière dont les fonds sont distribués et leur destination.
Le cadre reconnaît la contribution de la société civile, mais ne fournit aucune indication sur les modalités de cette collaboration à l’avenir. Conformément à nos recommandations, nous appuyons sans réserve la création d’un Conseil consultatif pour le Plan d’action national sur la VFS. La création de ce Conseil par le biais d’un processus de nomination transparent permettrait de guider et soutenir la mise en oeuvre du PAN en partenariat avec le Secrétariat du PAN. Les membres du Conseil doivent recevoir une compensation adéquate afin de pouvoir y consacrer du temps.
Engagement en faveur d’investissements soutenus et croissants
Bien que le financement de base du secteur de la VFS/VFG soit cité comme l’une des nombreuses options possibles pour les provinces et les territoires, le cadre ne met pas l’accent sur le maintien et l’augmentation des services. Nous savons que présentement, l’accès aux services de lutte contre la VFS/VFG dépend du code postal d’une personne. Le cadre n’aborde pas cette question; il n’inclut pas un engagement de chaque province et territoire à augmenter la capacité des services de lutte contre la VFS/VFG, en particulier dans les communautés rurales, éloignées, nordiques et autochtones.
Par exemple, nous nous demandons si les provinces qui ne financent pas actuellement les maisons de deuxième étape (hébergement transitoire à plus long terme pour les femmes et les enfants qui fuient la violence) financeront désormais ces services. Ou bien, les fonds fédéraux seront-il consacrés à d’autres priorités, maintenant ainsi un système inégal à travers le pays?
De plus, il semble que le document ne prévoit pas d’argent frais lié aux actions fédérales. Par conséquent, nous demandons un investissement supplémentaire d’un minimum de 600 millions au cours des quatre prochaines années pour l’élaboration et la mise en oeuvre des composantes nationales et fédérales du PAN.
Enfin, si les services destinés aux personnes survivantes ne sont pas financés de manière adéquate, le personnel de première ligne du secteur antiviolence, principalement composé de femmes et souvent de survivantes, n’est pas non plus rémunéré de manière adéquate et risque
davantage de souffrir d’épuisement professionnel, d’usure de compassion et de traumatisme secondaire.
Nous reconnaissons tous les efforts déployés par le ministère Femmes et Égalité des genres Canada (FEGC), et nous applaudissons son intention de prévenir la violence, de s’attaquer aux causes profondes, de fournir un soutien aux personnes survivantes, de combler les lacunes persistantes et de faire participer toutes les Canadiennes et tous les Canadiens. Reste à voir quelles mesures les provinces et les territoires choisiront de mettre en oeuvre, et le niveau de cohérence entre les juridictions.
Nous ne doutons pas que ce cadre permettra de faire des progrès considérables, mais nous devons veiller à ce que les enjeux systémiques soient abordés à un niveau systémique, avec des actions et un leadership au palier national. Nous espérons qu’un engagement et une surveillance continus de la part des organisations de défense de droits, la société civile et le gouvernement pourront mettre en place les changements systémiques durables nécessaires à long terme pour prévenir et mettre fin à la VFS/VFG.
Nous avons hâte de continuer à travailler avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour faire du Cadre un Plan d’action national à part entière.
Le groupe de la Feuille de route remercie l’Association canadienne pour mettre fin à la violence (EVA) d’avoir pris le devant avec la rédaction de cette déclaration.
Signataires
Collaboratrices du rapport Feuille de route:
Action ontarienne contre la violence faite aux femmes
L’Association canadienne pour mettre fin à la violence
Awo Taan Healing Lodge Society
BWSS – Battered Women’s Support Services
Canadian Association of Elizabeth Fry Societies
Canadian Centre for Housing Rights
Centre canadien de politiques alternatives Clinique commémorative Barbra Schlifer
Congrès du travail du Canada
Fondation canadienne des femmes
Fondation Filles d’Action Hébergement femmes Canada
Institut de recherché et de développement sur l’intégration et la société Luke’s Place
Ontario Coalition of Rape Crisis Centres
PREVNet
Prince George Sexual Assault Centre Provincial Association of Transition Houses and Services of Saskatchewan
Québec contre les violences sexuelles
Rise Women’s Legal Centre South Asian Legal Clinic of Ontario West Coast LEAF
Yukon Status of Women Council